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Le Portrait de Madeleine

Une jeune femme, âgé entre 20 et 40 ans, représentée dans un format coupé à mi-corps, devant un mur gris clair. Son visage et ses yeux son tournés vers le spectateur, son corps est placé latéralement, assis sur un fauteuil cabriolet de style Louis XVI. Tous ces détails semblent très normaux quand on parle du portrait d’une jeune femme, alors qu’est-ce qu’il y a de spécial sur ce portrait ? Juste qu’il est le portrait de quelqu’un qui n’est pas souvent représenté dans l’art : une jeune femme noire.  

Le portrait

Ce très joli portrait a changé de nom au cours de l’histoire. Aujourd’hui on le connait surtout comme le Portrait de Madeleine ou le Portrait présumé de Madeleine, mais pendant longtemps ce portrait avait le nom de Portrait d’une femme noire, et ont peut encore aujourd’hui ce nom même dans le site officiel du musée du Louvre. Il a été peint par Marie-Guillemine Benoist, une peintre française du néoclassicisme. Ce portrait est sans doute son tableau le plus connu et pour lequel elle est célèbre.

Portrait de Madeleine (1800) – Marie-Guillemine Benoist – Musée du Louvre

En 1800, à l’époque où le tableau est réalisé, l’abolition de l’esclavage est encore récente et n’est appliquée que partiellement. C’est pourquoi ce tableau est si surprenant et choquant. Cette jeune femme noire, qui a servi de modèle pour ce portrait, une servante, a restée anonyme longtemps. Benoist la représente dénuée de tout pittoresque exotique. La jeune femme est assise dans un fauteuil drapé d’un riche tissu bleu ; vêtue d’une robe ceinte d’un ruban rouge et coiffée d’un fichu blanc enroulé et noué haut sur la tête, un pan laissé libre retombe le long de la joue gauche. Un anneau d’or est visible à son oreille droite. Ses bras et sa poitrine sont presque entièrement dénudés. Sa main droite repose sur les genoux, la main gauche est repliée contre le ventre. Elle a le profil légèrement tourné vers le spectateur. Benoist a choisi un fond vide, sans aucune indication de profondeur spatiale.

Selon l’historienne de l’art Luce-Marie Albigès, ce portrait réalisé par Benoist « de présente dans une situation non conforme à sa condition de domestique, qui était probablement même celle d’une esclave avant 1794. Le regard directement tourné vers le spectateur, assise dans un fauteuil à médaillon drapé d’un riche tissu, elle occupe la place traditionnelle d’une femme blanche ». Albigès affirme que l’œuvre pourrait ainsi avoir deux objectifs apparemment contradictoires, d’un côté présenter cette femme noire comme un bien acquis, encore un article de luxe parmi tant d’autres ; de l’autre on peut apercevoir le désir de la faire reconnaître comme un être doué de sensibilité, au-delà de la différence raciale.  Benoist est donc la précurseuse par le soin qu’elle apporte à la représentation d’une femme noire, elle aperçoit l’importance du sexe, de la couleur de peau et de la classe sociale au moment de l’entrée de la France dans la modernité.

L’historienne de l’art Lisa E. Farrington a une vision un peu plus critique sur le tableau, elle affirme que malgré sa grâce et sa beauté, la figure assise, qui ici regarde le spectateur, ne peut guère être considérée comme émancipée. Au contraire, elle est assise, drapée de blanc (conçu pour contraster avec son teint acajou), paraissant à la fois triste et soumise.

Possibles sources d’inspiration

L’historien de l’art Pierre Rosenberg, l’a même appelé de « Fornarina Noir », pour lui, Benoist a peut-être été inspirée par La Fornarina de Raphaël, l’œuvre par sa composition est conforme à la tradition du portrait mondain du XVIIIe siècle, et se rapproche par la pose, l’orientation du visage, le traitement du fond dépourvu d’éléments décoratifs.

Encore une possible inspiration est le tableau de Jacques-Louis David, Portrait de Madame Trudaine, 1791.

 Curiosités :

  • La signature de l’artiste (Laville Leroulx, f[emme] Benoist) est placée sur le fond gris, juste au-dessus de la main droite du modèle.
  • D’un point de vue technique, peindre la peau noire n’était pas un exercice facile, il était quand même rare et très peu enseigné.
  • Ce portrait a acquis certaine notoriété en dehors des amateurs de l’art en apparaissant dans la fin du clip de la chanson Apeshit de Beyoncé et Jay-Z tourné intégralement au Louvre en 2018.
  • En février 2020, La Poste émet un timbre représentant le portrait.
  • En 2021, dans le roman de David Diop, le tableau de Benoist et la modèle sont évoqués.
  • Il y a une scène de la série américaine Bridgerton qui est inspirée par ce tableau (Épisode 7, Saison 2).

References :

  • Musée du Louvre
  •  L.E. Farrington. Reinventing herself: The Black Female Nude. Woman’s Art Journal. Autumn 2003-Winter 2004. (en anglais)
  • D. Mitchell. Images of Exotic Women in Turn-off-the-century Tobacco Art. Feminist Studies. Summer 1992. (en anglais)
  • Image : Musée du Louvre


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